Du Cameroun au Togo, le défi des solutions 100% africaines face au covid-19

La pandémie du Covid-19, nous a tous pris par surprise. Sa vitesse de propagation a imposé à chacun de nous un changement radical des habitudes du quotidien. En Afrique, la majorité des mesures mises en place ont éprouvé les systèmes de santé, l’organisation des gouvernements, la discipline des populations et l’engagement des jeunes entrepreneurs.

Le mythe du confinement africain 

Une mesure généralisée dans le monde entier a vite montré ses limites sur le continent. Entrée en vigueur dans plusieurs pays du monde à la mi-mars, le confinement – rester chez soi et limiter ses interactions sociales – n’a pas été adopté de façon stricte.  La  grande majorité des capitales africaines étaient en semi-confinement, les rues restaient bondées et dans les marchés, le mètre de distance entre chacun est resté un mythe.  Opérant majoritairement dans le secteur informel, il est impossible pour  des milliers d’africains, de rester confiné à la maison. Et quand on est vendeur à la sauvette, le télétravail n’est pas vraiment une option. Et presqu’aucun plan d’accompagnement ou de sauvegarde n’est mis en place par les institutions gouvernementales pour palier au manque à gagner des jeunes entreprises face à cette situation inédite. Comme d’habitude, c’est chacun pour soi.

Et si on produisait des masques ? 

Il faut coûte que coûte maintenir son activité pour ne pas voir s’en aller en fumée plusieurs années d’efforts. C’est le cas pour Paul-Marius Nkeng-Bakouyack, entrepreneur dans le secteur de la mode au Cameroun.
En quittant son métier d’ingénieur en France en 2016 pour s’installer à Yaoundé et se lancer dans la confection de costumes sur mesure, il était loin d’imaginer qu’une pandémie se rajouterait à la liste de ses défis. Avec toutes ses économies et un peu d’investissement familial, il monte en 2017, un atelier de costumes sur mesure à Elig-essono – un quartier proche du centre ville- où il embauche 4 artisans à temps plein.

 

Quelques mois, avant que la pandémie ne frappe de plein fouet, il commençait à imaginer et planifier sa phase de rentabilité.  2020, annonçait un nouveau cap et une rentabilité possible en fin d’année avec la notoriété grandissante. Cette crise entraîne pour lui une perte de plus de la moitié de son chiffre d’affaire : les commandes ne se confirmant pas, il est inévitable pour lui de renvoyer la moitié de son personnel à la maison. Ses charges fixes qui s’élèvent à près de 800.000 Fcfa( 1200€), il ne sait pas vraiment comment il va les couvrir ce mois.  Il est impératif qu’il tienne le coup, c’est dans cette optique qu’il se lance dans la production de masques en tissu. En effet, le gouvernement vient d’imposer le port du masque à toute la population. Toutefois, contrairement aux communes françaises qui distribuent gratuitement les masques dans les boîtes aux lettres, chacun doit acheter son masque. Les offres pullulent alors de partout, des ateliers de fortune s’organisent dans les maisons. Sans réglementation aucune, c’est chacun qui doit imaginer une solution qui protège au mieux.
S’inspirant du modèle du CHU de Lille, Paul-Marius contacte ses fournisseurs habituels pour l’achat de fournitures : sa production est lancée. Malgré une production modeste de près de 800 pièces par semaine, la première semaine de production s’est bien vendu localement,  une start-up parisienne qui va distribuer gratuitement, les masques à ses clients lui a commandé une centaine de masques.
Bien qu’il y ait de l’intérêt localement pour ces masques, l’accès aux fournitures est très difficile. Les stocks disponibles sur les marchés ont été dévalisés dès les premieres semaines d’obligation de port de masque au Cameroun. Il faut dire que ni les élastiques, ni les tissus ne sont de fabrication locale et face à une explosion mondiale de la demande des masques en tissus, les élastiques se font très rares.

Au Nigeria, Folake Akindele Coker, a converti toutes les opérations de production de sa marque Tiffany Amber en production de blouses et masques pour les équipes opérationnelles et médicales qui doivent faire face à la pandémie à Lagos. Chaque semaine, elle produit près de 10.000 masques, blouses et draps pour les hôpitaux d’appoint mis en place par le ministère de la santé.

 

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Un masque 100% africain,  de la fibre de coton à la couture est possible 

Mable Agbodan se découvre plus hypocondriaque que jamais, le premier réflexe pour répondre à la pandémie était de réduire et renvoyer son personnel à la maison, suspendre les sessions de formation jusqu’à nouvel ordre. La date de fin du confinement étant incertaine, c’est à contre-coeur qu’elle doit rappeler quelques couturiers à l’atelier. En effet, elle a reçu plusieurs demandes de masques, qui la poussent à re-ouvrir son atelier.
Basé à Lomé au Togo, depuis 2016, le Club des Métiers d’Art est un centre panafricain de création et un incubateur de design unique en Afrique de l’Ouest. Plus qu’un atelier, le centre offre des stages de perfectionnements rémunérés, et des ateliers de formation. Très engagé dans la communauté, et bien équipé, le Club des Métiers d’Art propose aussi des ateliers gratuits spécialement conçus pour l’accompagnement des jeunes dans leur scolarité et leur choix professionnel. Le centre conçoit  un programme d’accompagnement pédagogique (soutien scolaires, ateliers, séminaires, séjours thématiques, master-classes destinés aux écoliers et étudiants, scolarisés et hors scolaires) » . Une attention militante est apportée aux femmes.
Pour les 40 artisans qui se répartissent dans les 6 ateliers du centre – broderie à la main, couture, cordonnerie, maroquinerie, menuiserie et tapisserie – il faut trouver de nouvelles missions et de nouvelles façons de travailler. Ça va être difficile car tout le monde n’est pas formé à la couture. Il faut s’adapter et tenir le cap, car pour les coopératives de tisserands du Nord du Togo où  s’approvisionnent l’atelier, Mable envisage de payer pour les commandes futures pour permettre à ces dernières de faire face à cette période difficile.

Ce centre c’est un peu l’oeuvre vivante d’une jeune femme passionnée, radicale et visionnaire : « j’ai fait de cet espace un endroit où l’on invente des choses et c’est exactement dans cet esprit que nous devons proposer des solutions contre le Covid-19 ». C’est ainsi que depuis 2 semaines le centre a ré-ouvert.
Avec une capacité de plus de 2000 masques par semaine, le centre a honoré une première commande d’une banque locale pour son personnel.

C’est fière et pleine d’espoir que Mable envisage l’avenir. Son masque 100% africain, depuis le coton traité en tissu dans les ateliers béninois de son fournisseur à la main d’oeuvre togolaise, elle est ravie de pouvoir aussi proposer en réponse à cette pandémie, une solution 100% locale et panafricaine.

Quel avenir pour la création textile en Afrique ? 

Très peu d’entreprises de l’Afrique centrale et de l’Ouest sont aujourd’hui en mesure de produire des masques FFP2 ou même des masques chirurgicaux,  raison pour laquelle, elles n’ont pas vraiment été sollicitées pour répondre aux commandes locales et/ou internationales pour les hôpitaux et centres de santé. Dans la majorité des pays d’Afrique, les masques  pour les hôpitaux ont été offerts par Jack MA et la Chine qui déploie son « soft power » sur le continent.

Et si c’était, ça le vrai challenge de l’industrie textile en Afrique centrale et en Afrique de L’ouest : renforcer la capacité des ateliers pour répondre aux besoins locaux sans toujours s’appuyer uniquement sur les importations turques ou chinoises ? A l’instar du Maroc voisin qui a su répondre aux questions cruciales imposées par cette pandémie. De ce que nous vivons, nous voyons bien que la stratégie d’importer tout est très risquée. Cette crise expose au grand jour les points les plus vulnérables d’une filière textile peu normalisée et des opportunités de création d’unités de production en filière intégrée.

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